Festival Filmar en América Latina: La balade d’Hugo Pratt, aventurier en Argentine
La balade d’Hugo Pratt, aventurier en Argentine
Signé par Stefano Knuchel, un documentaire truffé d’archives inédites et de témoignages brosse une période charnière dans la carrière du créateur de Corto Maltese.
«J’ai treize façons de raconter ma vie et je ne sais pas s’il y en a une de vraie, ou même si l’une est plus vraie que l’autre.» Confidences d’Hugo Pratt à son biographe, Dominique Petitfaux. Extraite du livre «Le désir d’être inutile», paru en 1991, quatre ans avant la disparition du créateur de Corto Maltese, la phrase contient en germe tout ce qui fait la mythologie de l’auteur vénitien enterré à Grandvaux (VD).
Véritable aventurier, Pratt a insufflé dans son œuvre sa forte personnalité autant que son vécu. Tourné par le réalisateur tessinois Stefano Knuchel, d’origine genevoise, un film documentaire retrace l’existence mouvementée du dessinateur italien en Argentine, une période charnière dans sa carrière. Projeté dans le cadre du festival Filmar en América Latina, «Hugo in Argentina» s’appuie sur les paroles du maestro, retrouvées dans les cassettes audio enregistrées par Dominique Petitfaux, mais aussi sur des archives et des témoignages inédits.
Liens avec la Suisse
Passionné par son sujet, Stefano Knuchel a déjà consacré un autre documentaire à Pratt, «Hugo en Afrique», sorti en 2009. «Je travaille désormais sur un troisième chapitre, «Hugo à Venise», qui va raconter ses années en Italie, mais aussi ses liens avec le Pacifique et la Suisse. L’idée, c’est d’évoquer trois moments particulièrement significatifs dans la vie d’Hugo Pratt, qui sortent du cadre strict de la biographie», explique l’intéressé au bout du fil.
«Les années vécues par Pratt en Argentine s’avèrent essentielles dans les prémices de sa création.»
Le jeune auteur qui débarque à Buenos Aires en 1950 est-il très différent de celui qui donnera naissance à Corto Maltese en 1967? «Comme sa période africaine, qui correspond à son enfance et à son adolescence, les années qu’il a vécues en Argentine s’avèrent essentielles dans les prémices de sa création. La profondeur de Corto Maltese est due au fait que c’est un personnage qui cumule une expérience de vie totalement folle.»
Celle de Pratt, qui multiplie les rencontres en Argentine. Dizzy Gillepsie notamment, que des photos d’archives montrent au côté du dessinateur. Chaleureux, le futur créateur de Corto Maltese a le contact facile. Les fêtes qu’il donne chez lui sont réputées. «Tu indiquais comme adresse «la maison de Pratt» au chauffeur de taxi, il savait exactement où c’était et comment y aller», raconte l’artiste argentin Oscar Smoje, qui l’a côtoyé de près durant cette période.
Le Che et Eichmann
Lors d’une des multiples noubas auxquelles il prend part, le jeune Hugo Pratt croise un grand barbu qui plaît beaucoup aux filles. «Plus tard, j’ai découvert que c’était le Che!» commente le dessinateur, que l’on voit aussi chevaucher dans de grands espaces, du côté de la Patagonie. «Une nuit, je me suis retrouvé du côté de la cabane où Butch Cassidy s’était caché. Les pâturages étaient pleins de voleurs de bétail. Je suis immédiatement devenu leur ami.» Ailleurs, il croisera la route du nazi Adolf Eichmann, sans savoir à qui il a affaire.
Sans qu’il en soit forcément conscient, Pratt se construit peu à peu un personnage. «J’ai le souvenir d’Hugo se promenant dans les rues avec une paire de jeans, des tongs, une boucle d’oreille, le caban de la marine anglaise… c’était Corto Maltese qui marchait, avant même que celui-ci n’existe», se souvient Oscar Smoje.
«Hugo in Argentina» dévoile également le Pratt sensuel, cavalant de jolies filles en lieux de plaisirs, peu concerné par la paternité. Sa fille aînée, Marina, témoigne: «Hugo n’était pas fait pour rester avec une seule femme. Il devait en avoir beaucoup. Il a toujours été libre.» Gisela Dester, la grande passion de ses jeunes années, raconte aussi un créateur volage.
«Pratt a fait preuve d’une grande sensibilité pour créer des personnages féminins d’une force et d’une finesse très rares dans la BD», conclut Stefano Knuchel. «Mais dans la vie, par rapport aux femmes, il a très souvent été d’un machisme et d’une insensibilité étonnants. Je l’aime dans ces contradictions. J’ai envie que son personnage ressorte dans ses contrastes.»
«Hugo in Argentina», de Stefano Knuchel. Projection me 23 nov. à 18 h 45 en présence du réalisateur. Cinélux, 8, bd de Saint-Georges.
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