Lettre du jour: De l’art d’interpréter les chiffres
Bernex, 24 novembre
Comme l’indique un courrier intitulé «Tous les chiffres» paru le 22 novembre à propos du Mondial de football au Qatar, il faut citer tous les chiffres, y compris les 6500 ouvriers migrants morts à la tâche: un chiffre paru dans le «Guardian», unique source apparemment, si l’on fait abstraction d’un décompte officiel de… seulement 3 victimes d’accident de travail!
Mais que vaut vraiment ce chiffre effarant, plus de six mille morts, repris partout en absence de tout effort de contextualisation?
Dans la «Tribune» du 16 novembre, on apprenait toutefois que cette hécatombe comprend les décès, toutes causes confondues (!), durant les dix années de construction des stades et infrastructures liées à l’événement, et cela parmi plus de 1,4 million de travailleurs!
Cela fait donc un décès pour plus de deux cents ouvriers. Même si certains ont fait un bref séjour au Qatar quand d’autres y sont peut-être restés dix ans, cela n’invalide pas l’interprétation de la «faible» proportion de décès qu’on peut en faire.
Encore faut-il se poser la question: combien parmi ceux qui sont décédés l’ont-ils été de «mort naturelle», sans rapport avec les accidents de travail et les conditions de son exercice? Et combien seraient décédés s’ils étaient restés dans les conditions de vie, souvent également mauvaises, de leur lieu d’origine?
Dès lors, balancer des chiffres bruts hors contexte confine à une manipulation destinée à alimenter le courant bien-pensant aujourd’hui dominant en Occident. Mais ailleurs, les leçons de morale, comme illustrées par l’affaire des brassards «One Love», seront perçues, par les nations qui cultivent d’autres valeurs, comme l’expression arrogante d’un néocolonialisme missionnaire.
Gérard Eperon
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