«Le blanc, c’est une boule disco dont tous les arts sont les facettes»
Dans son dernier carnet de voyage, «Blanc», l’écrivain-aventurier raconte sa traversée des Alpes à ski. Il était vendredi au Théâtre de Carouge à l’invitation de la Société de lecture.

Sylvain Tesson assiégé par un public nombreux après sa causerie au Théâtre de Carouge.
steeve iuncker gomez
Même le ciel se met au diapason de la petite musique des mots de Sylvain Tesson. L’écrivain-géographe, arpenteur du monde et explorateur de tous les extrêmes, est accueilli à Genève vendredi 9 décembre par la neige. Partout à Carouge, ce blanc que le visiteur occasionnel aime tant poudre les cheveux et ouate les toits.
Tesson est ici à l’invitation de la Société de lecture pour parler avec Delphine de Candolle, sa directrice culturelle, d’un empire dont il est l’humble sujet, celui du vide et de l’altitude, empire des cimes qu’il célèbre avec panache dans son dernier carnet de voyage, «Blanc», justement.
Quatre années durant, entre 2018 et 2021, à raison de trois à six semaines par an à la fin de l’hiver, Sylvain Tesson traverse les Alpes, de la Méditerranée à l’Adriatique, de Menton à Trieste, chevauchant les corniches et dévalant les pentes drapées d’un royaume qui saute les frontières suisse, française, italienne, autrichienne et slovène.
«Le ciel était vierge, le monde sans contours, seul l’effort décomptait les jours. Je croyais m’aventurer dans la beauté, je me diluais dans une substance. Dans le Blanc tout s’annule – espoirs et regrets. Pourquoi ai-je tant aimé errer dans la pureté?» se demande l’écrivain.
«C’est moi»
À ski ou arrimé à ses crampons, il suit la trace du guide de haute montagne Daniel du Lac. Les deux compères partagent une grande partie de l’aventure avec un troisième mousquetaire du bâton, Philippe Rémoville, rencontré dans le refuge de San Bernolfo. Parti de Nice, il traverse les Alpes, seul. «J’ai appelé mon voyage «Sur les chemins blancs» en hommage à un type qui a traversé la France à pied et écrit un récit: «Sur les chemins noirs», explique Rémoville. «C’est moi, dis-je. C’est drôle, dit du Lac. C’est fou, dit Rémoville. C’est l’heure, dit Bépé (le gardien du refuge)», rapporte Sylvain Tesson (p. 41).
Assis tout petit devant une salle comble – près de 500 auditeurs tout de même – Sylvain Tesson remplit l’espace du Théâtre de Carouge. Il le gorge de mots, les siens et ceux des auteurs qu’il aime, romanciers, penseurs, poètes et philosophes qui l’aident à maintenir sa solidité intérieure quand il s’aventure sur les à-pics et génèrent dans sa tête fracassée un brouhaha constant. Ils habitent «Blanc» à chaque page. Une facilité? L’écrivain s’insurge: «Il vaut mieux recourir aux mots des autres, ceux qui ont subi la discrimination du temps, cela vous en fait gagner.»
«Dans le Blanc tout s’annule – espoirs et regrets. Pourquoi ai-je tant aimé errer dans la pureté?»
Une forme d’humilité lui permet d’entendre «la cloche tinter» (ring the bell) et lui fait percevoir «la concordance avec ses propres émotions comme un cadeau de la littérature». Les artistes admirés «forment des couches, une stratification, un épaississement dans lequel nous effectuons des sondages pour trouver des correspondances». Et la cloche ne tinte jamais aussi clair à ses oreilles que dans ce blanc qui est, pour Tesson, «une boule disco dont tous les arts sont les facettes».
Sur les sommets, l’aventurier Tesson aime traquer l’effort qui dure, celui qui met son endurance à l’épreuve. La traversée des Alpes à ski, c’est ça. Peut-être le voyage le plus exigeant à ce jour. L’alpinisme, c’est ça aussi: «Avec mes amis, dit-il, nous restons souvent plusieurs jours dans une paroi rocheuse, bivouaquant dans la falaise.» Face à la page par contre, cet «obèse ogresque dans son appétit de la vie» se fait ascétique: «J’aime la forme courte quand j’écris. Et je commence à être inquiet, car mes livres sont de plus en plus brefs! «Blanc», c’est un journal, je raconte 85 fois la même chose, en essayant de varier un peu.»
Interrogé sur son rapport au surnaturel, Tesson répond à la salle du Carouge: «J’adresse des oraisons lorsque je suis en montagne, oui, des oraisons à la beauté. Mais au Grand Horloger, je préfère la montre.»
«Blanc» de Sylvain Tesson, Gallimard, 235 pages.
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