Une saga snobée puis adulée: La revanche des Cazalet
La revanche des Cazalet
Elizabeth Jane Howard brossa cette fresque familiale pour «meubler» sa séparation avec Kingsley Amis.
Autour de ses 70 ans, malgré l’enthousiasme soulevé par la parution de la saga des Cazalet en 1990, Elizabeth Jane Howard restait boudée de l’intelligentsia, considérée avec un peu de mépris comme «une pourvoyeuse de littérature féminine». La faute sans doute à une vie sentimentale compliquée par trois divorces et quelques célèbres amants, Cecil Day-Lewis notamment. Pourtant, plutôt que d’alimenter la rubrique people, la Britannique préférait saluer ses milliers de lecteurs comme «des hommes et des femmes éduqués».
Quand, par une ultime perfidie, Margaret Drabble refusa de l’inclure en 1995 au bottin mondain des écrivains, «The Oxford Companion to English Literature», cette autodidacte venue de la classe ouvrière se contenta de déclarer à la presse sa «perplexité». Élégante envers et contre tous les snobs, la romancière obstinée avait gagné son pari, elle qui cherchait avec les Cazalet à meubler ses loisirs et son compte en banque après la rupture d’un mariage de près de vingt ans avec Kingsley Amis.
Vie bourgeoise
Avec le recul, tous ces aléas de la vie bourgeoise en Angleterre au siècle dernier nourrissent les casseroles traînées par les Cazalet de 1937 à 1947. Redécouvert en français il y a seulement deux ans, ce clan s’effeuille sur trois générations. Autour du Patriarche, dit le Brig, et de la Duche s’agite une quinzaine de rôles principaux flanqués d’une trentaine de domestiques dans une maisonnée établie dans le Sussex. Le protocole amidonné de «Downton Abbey» ou la lutte de classes de «Gosford Park» n’en griffent pas le charme premier.
Déjà parce que ces héros ordinaires s’accommodent d’un quotidien moins spectaculaire. Leur séduction tient à un écheveau de mille intrigues nouées des chambres à coucher aux arrière-salles de cuisine. En cinq tomes, le monde sombre dans la Seconde Guerre mondiale avec ses combats fracassants. Et pas seulement à l’heure du thé, de Chine dans les étages supérieurs, du Ceylan épais des Indes chez le petit personnel.
Inceste subodoré, avortement clandestin, adultères en cascade et autres catastrophes selon la morale en vigueur encore cadrée par des vestiges de l’ère victorienne se succèdent dans les couloirs. Elizabeth Jane Howard persiste à maintenir un vernis de bienséance heureuse dans cette comédie de mœurs qui s’éternise à peine, emportée dans le tourbillon de ses personnages et bientôt par l’histoire. Une ironie légère suffit ici à éviter le cynisme méchant et la sensiblerie fadasse. Un humanisme général provoque des bouffées féministes par évidence et intermittence. Sans arrière-pensée, ça se dévore, délectable.
La saga des Cazalet, Elizabeth Jane Howard, Éd. La Table Ronde/Quai Voltaire (5 tomes)
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