Nouveau recueil: La Russie feuilletée et silencieuse de Magali Koenig
Dans l’ouvrage «Courir après la pluie», la photographe de Vevey compile 30 ans de voyages.
La dame en bleu, Oust-Nera. Russie, 2006.
MAGALI KOENIG
La coïncidence est-elle heureuse ou malvenue? La photographe veveysane Magali Koenig publie un livre compilant 30 ans de voyages en Russie – et dans quelques pays alentour – au moment où le pays de Vladimir Poutine se distingue sur la scène internationale par une agression militaire sans précédent dans l’histoire récente. Son «Courir après la pluie», ouvrage soigneusement préparé depuis plus de deux ans, échappe pourtant à cette question en l’occurrence stérile, car tenue à distance par des images, si ce n’est hors du temps, du moins dans les interstices de l’histoire.
«Les gens? Il y en a juste assez.»
Les photographies de Magali Koenig prises entre 1988 et 2017 ne cherchent pas à se confronter à la dimension de l’événement ou à l’agitation de la société mais documentent plutôt des traces, saisies dans une proximité de candeur bouleversante (des objets du quotidien) ou dans une distance que l’on dira poétique (paysages trahissant discrètement une activité). Même si la figure humaine est singulièrement absente de ses visions parfois faussement désolées, ou du moins qu’elle ne transparaît que rarement et comme par accident, l’environnement dévoilé en dit souvent beaucoup sur les gens qui le traversent ou l’habitent.
Lendemain de fête. Arménie, 2007.
MAGALI KOENIG
Dans une époque de selfie et de reportages frontaux qui semblent affirmer l’humain comme fin dernière de la lecture du monde, Magali Koenig choisit de se maintenir en retrait, gardant la scène, ou plutôt le cadre, libre de toute occupation trop insistante. Cette suspension de ce que l’on pourrait qualifier de miroir anthropologique confère une grande liberté au regard, à l’interprétation. La photographe voyageuse, qui n’imagine pas prendre une image de quelqu’un sans lui demander la permission, concède qu’en matière de gens, «il y en a juste assez».
Champs soviétiques
Pudeur et douceur se combinent chez elle, même lorsqu’une certaine brutalité du réel fait irruption sur son horizon. Car il peut arriver que sa démarche rencontre les approches plus usuelles du reportage comme lorsqu’elle montre ces barres d’immeubles décrépis, colosses champêtres fatigués et souvenirs de l’ère soviétique que l’on retrouve chez ses cadets, comme Niels Ackermann.
Un chien noir, Alaverdi. Arménie, 2007.
MAGALI KOENIG
Sans éluder ce qui se présente à elle, Magali Koenig contourne – sans même s’y astreindre – les discours criards et appuyés. Ses motivations de pérégrine, elle les doit plus à une volonté onirique de pourchasser les fantômes de Tchekhov ou de Tarkovski qu’à celle de traquer l’actualité. Rattrapée par l’histoire, elle frémit face à la guerre mais ses perspectives poétiques continuent à s’échapper de l’étau étatique pour privilégier les transports sur la peau d’un pays, fût-elle parfois crevassée.
Le monastère d’Andreï Roublev, Moscou. Russie, 1992.
MAGALI KOENIG
«Courir après la pluie», Magali Koenig, Éd. Actes Sud, 312 p.
Poèmes Blaise Hofmann, «Les yeux dans le samovar».
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