Genève – Un audit déchire la gestion des bains genevois
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La Cour des comptes fustige des pratiques en roue libre entre associations et restaurants, à Genève-Plage et aux Bains des Pâquis. Les subventions vont chuter.
Gestion inappropriée et incontrôlée, possibles conflits d’intérêt, système de contrôle interne déficient, manquements multiples… Dévoilé mardi, un audit de la Cour des comptes fusille les associations qui gèrent Genève-Plage et les Bains de Pâquis, dans les rapports qu’elles entretiennent avec les exploitants des restaurants privés, sur ces deux sites. Les collectivités publiques qui subventionnent ces lieux de farniente adorés des Genevois sont aussi fustigées pour leur manque de contrôles.
Sur la rive gauche, l’Association de Genève-Plage (APG) est accusée d’avoir attribué la gestion du bar-restaurant Les Voiles au terme d’un appel d’offres en 2020 «entaché d’irrégularités», a énoncé Frédéric Varone, qui a dirigé l’audit. Selon le magistrat, qui s’interroge sur les liens personnels entre le directeur de l’association et le candidat lauréat, ce dernier était «objectivement moins bon et son offre bien moins intéressante financièrement» que le dossier recalé en seconde position. «Rien d’illégal d’un point de vue juridique. En revanche sur le plan éthique, c’est très discutable.» Le Ministère public a tout de même été saisi, à la suite d’allégations à caractère pénal. Le parquet a confirmé une dénonciation mais n’a pas souhaité faire de commentaires.
Manque à gagner compensé par l’État
La question financière est au cœur d’un système où des collectivités subventionnent des associations à but non lucratif, lesquelles délèguent l’exploitation des activités commerciales sur leur site à des privés, comme Les Voiles et la buvette des Bains des Pâquis. C’est là que le bât blesse.
Maximiser ses ressources propres est une obligation légale pour les entités subventionnées. Problème: les loyers qu’elles exigent des exploitants sont beaucoup trop bas, au regard de leur chiffre d’affaires. Résultat: les associations dépensent de l’argent public, alors qu’elles pourraient percevoir les mêmes montants, voire plus, auprès d’établissements privés. «Ces loyers trop cléments constituent une sorte de subvention indirecte pour les gérants des restaurants», a expliqué Frédéric Varone.
Exemple aux Bains des Pâquis, où les salaires sont généreux et les avantages en nature nombreux pour le personnel: le montant payé par la buvette à l’Association des usagers (AUBP) est presque trois fois moindre que dans la pratique usuelle. À tel point que si elle recevait un loyer adapté aux revenus du restaurant, elle pourrait se passer de sa subvention annuelle et s’autofinancer, a calculé la Cour. Selon cette dernière, des contrôles et des hausses de loyer permettraient à la Ville et au Canton d’économiser jusqu’à 355’000 francs par an, au total.
Aides supprimées
Pour le coup, la conseillère administrative Christina Kitsos, chargée du dossier à la Ville, va couper la subvention de l’AUBP et doubler les mensualités de la buvette dès l’an prochain. D’autres pratiques ont visiblement choqué. «L’association offre pour 60’000 francs de massages par an aux employés? C’est inacceptable», a clamé la magistrate. Elle n’entend cependant pas «tuer ce qui a été construit aux Bains des Pâquis, qui porte des valeurs culturelles et de cohésion sociale».
Du côté du Canton, le Département de la cohésion sociale a avoué avoir parié sur la «bonne foi» de l’AGP. Désormais, la confiance est ébranlée, a-t-il avoué. La subvention et/ou le contrat de prestation de l’association seront donc «reconsidérés».
Ville et Canton ont indiqué qu’ils acceptaient et suivront toutes les recommandations de la Cours. Idem pour l’AUBP. Son coordinateur, Philippe Constantin, précise cependant: «Nous ne nous sentons certainement pas coupables. On fait un travail extraordinaire. Nous sommes critiqués pour bien traiter nos employés? Mais on en est fiers! Je suis plutôt attristé que d’autres, dans notre secteur d’activité, ne fassent pas de même.» De son côté, le président de l’AGP, Jean-Daniel Roehrich, rappelle qu’il y a huit ans le site actuel de Genève-Plage était «sous-occupé». Aujourd’hui, c’est un «haut lieu de Genève. L’endroit a été rénové, on y a créé des activités qui génèrent des rentrées d’argent pour la collectivité publique.»