Suisse romande – Pour Smood, il n’y a pas de grève
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Alors que le débrayage a commencé début novembre à Yverdon, avant de s’étendre à onze villes romandes, dont Genève mardi, l’entreprise conteste l’existence d’un réel mouvement social.
«Je suis tellement en colère. Ça m’empêche de parler», s’est ému Ali Badara, mardi, face aux médias. «Fatigué de la situation», le jeune homme qui livre des repas depuis près de cinq ans pour le compte de Smood à Genève a confié son désarroi face à des problèmes qui perdurent. En fin de matinée, «malgré la peur», une trentaine de livreurs genevois ont annoncé leur entrée en grève. Le jour même, ils ont tenu un piquet de 13h à 20h en plein centre-ville, à Rive. La cité de Calvin devient ainsi la onzième ville à rejoindre le mouvement social, après Yverdon, Neuchâtel, Nyon, Sion, Martigny, Lausanne, la Chaux-de-Fond, Fribourg, Montreux et Vevey.
Négociations fantômes ?
Si l’entreprise de livraison de repas a fait un pas, lundi, en direction des salariés, cela reste largement insuffisant, estiment les grévistes réunis au siège social d’Unia, au bout du lac. «Nous voulons des changements maintenant, pas en janvier, a grondé Farès, membre du comité de grève de Lausanne. Tous les mois, c’est la même stupeur. Les heures payées ne correspondent pas aux heures travaillées. En octobre, j’ai effectué 175 heures. Pourtant, je n’ai reçu de paiement que pour 135.» Sans compter que les améliorations annoncées par la société sont sans garantie, juge le syndicat Unia, qui soutient une centaine d’employés Smood. «Il n’y a eu ni de protocole d’accord, ni de discussion.»
«Les négociations sont bel et bien en cours avec Syndicom. Nous travaillons avec eux depuis huit mois, et notre CCT est sur le point d’être finalisée», dément Smood. Il n’en est rien, assure pourtant le partenaire social. S’il existe «une chaîne de communication entre Smood et Syndicom depuis janvier, il n’y a pas de négociations en cours», nous a confié Matthias Loosli, porte-parole du syndicat, qui représente une vingtaine de salariés et appuie l’action des coursiers, en espérant que ceux qui «s’exposent maintenant ne seront pas désavantagés».
Dans un communiqué publié lundi, Syndicom a indiqué avoir récemment déposé ses revendications et convié l’entreprise de livraison à «entamer rapidement des négociations avec toutes les parties concernées et à mettre en œuvre les revendications aussi rapidement que possible.» «Dire qu’il y a des négociations depuis janvier est un mensonge!», conclut Luis, membre du comité de grève en Valais.
Aux yeux de Smood, il n’y a pas de grève
Alors que le débrayage a commencé début novembre à Yverdon, avant de s’étendre dans plusieurs villes romandes, Smood conteste l’existence d’un réel mouvement social. «Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de grève, mais des événements organisés par Unia qui incite les chauffeurs à participer. Aucun de ces événements ne remplit les conditions légales pour être considéré comme une grève», indique la société genevoise.
Pourtant, les grévistes affirment être à l’origine de cette initiative. «On a fait ce qu’on avait à faire pour être entendus, explique Kader du comité de grève d’Yverdon. C’est nous qui sommes allés à la rencontre d’Unia, pas l’inverse.»
Mardi, Unia a une nouvelle fois appelé la société de livraison à entrer en discussion afin de trouver des solutions. Une proposition qui n’est pas au goût de Smood, qui dénonce les actions du syndicat. «Ses méthodes n’ont servi qu’à diviser et à retarder la mise en œuvre des améliorations prévues».
«Depuis 2019, Migros Genève détient 35% des actions de Smood et ses directeur et directeur adjoint siègent au Conseil administratif, a rapporté Anne Rubin, responsable commerce de détail à Unia. Le géant orange est donc «partie prenante des décisions stratégiques de Smood. Ils ne peuvent pas cautionner cette sous-enchère salariale qui précarise les employés.» La responsable a appelé Migros à réagir. «Ils doivent prendre leurs responsabilités sociales et peser de tout leur poids pour faire bouger les choses. Sinon cela revient à cautionner ces pratiques.» De son côté, la coopérative suisse explique avoir «vivement encouragé» Smood à entrer en conversation avec un partenaire social et «salue le dialogue constructif entre Syndicom et Smood».
Sous-traitance pointée du doigt
Luis, livreur en Valais, avait aussi fait le voyage, mardi, pour témoigner. «Je suis forcé de travailler avec ma voiture, mon portable et laver les sacs et mes uniformes (quand nous en avons) sur mon temps libre en payant les coûts. Selon mes propres calculs, à la fin, je touche 14,70 francs de l’heure.»
A Genève, tout comme dans le canton de Vaud, la situation des employés est d’autant plus précaire que Smood fait appel à un sous-traitant. «En réalité, c’est Simple Pay qui nous emploie», explique Farès. Contrairement aux autres cantons romands où les salariés sont engagés par Smood et payés à l’heure, ici «nous sommes rémunérés uniquement lorsque nous livrons. Donc pas de livraison, pas d’argent. Il n’y a aucune garantie de revenu.» Sophie, qui exerce à Genève, confirme. «Une fois, j’ai fait un shift de cinq heures où je n’ai eu qu’une commande. J’ai été payée pour 30 minutes de travail, le temps de la livraison. On court toute la journée pour rien.»
Une pratique qui relève de la sous-enchère salariale et contrevient à la convention collective de travail de la location de services, selon Unia. «C’est illégal de mettre des employés à disposition d’une entreprise durant une certaine durée sans les payer», s’est insurgée Véronique Polito, vice-présidente du syndicat. Contactée, l’agence de location de service, Simple Pay, a indiqué ne pas être en mesure de nous répondre.